Entre deux spectacles de rue, et l'agenda des tournées se remplissant (merci à mon agent), il fallait bien montrer ce brave GTV6 au vétérinaire. En effet, si, jusqu'à présent, il avait répondu fidèlement à mes sollicitations, s'ébrouant quand je désignais du bout de mon fouet sa pompe à essence, rugissant à la moindre caresse de ses petits fusibles, l'âge venant, et aussi une certaine nostalgie des grands espaces de son enfance passant parfois dans son regard de fauve exilé, dans le blanc suisse de ses phares (il vient de là-bas), il fallait bien examiner la bête, comme me l'avait suggéré Jérôme, un autre dresseur du Cirque Transax. Je l'avais trouvée trop souvent mal en point, déprimée au point de ne pouvoir se décider à se lever.
D'après les soigneurs, l'animal pouvait souffrir d'un vieillissement prématuré de l'estomac, ce réservoir d'énergie si fragile chez ces grands fauves des années quatre-vingt. Pourtant, je l'avais toujours nourri au 98 sans plomb ! Le vétérinaire est un vieux briscard. On ne la lui fait pas. Sans craindre les coups de dents ou une fuite panique parmi les autres fauves de son cabinet (le célèbre Fiat Dino, acrobate du cirque de Turin, la belle Giulia et son troublant glissé de train arrière), il a branché ses électrodes, testé la pompe à essence, les fusibles, et là, sans chichi et sans abracadabra, a désigné LE fil électrique responsable des brusques absences du GTV6. Le fil était cassé dans sa gaine ! Une petite épissure, un peu de pansement et hop! la bête était sur pneus ! Ainsi, ce que je prenais pour un exploit de mes talents de dresseur n'était qu'une facétie du GTV6, destinée à m'alerter sur son état nerveux passablement débranché… À quoi tiennent nos succès ? Le cerveau de l'animal n'a pas fini de nous révéler sa complexité, et l'animal lui-même l'étendue de ses sentiments.